2.3 - Les stratégies de protection
2.3.1 Le choix des actions à conduire 2.3.2 Nécéssité de situer l'espace protégé dans son environnement régional 2.3.3 Le risque d'une fragmentation des habitats à l'intérieur des espaces protégés |
2.3.1 - Le choix des actions à conduire
Une fois que le gestionnaire a identifié les biotopes à protéger en priorité, il doit réfléchir à la manière d'assurer au mieux leur protection. Trois orientations principales peuvent être envisagées :
- laisser le milieu suivre son évolution naturelle,
- s'efforcer de le maintenir en l'état,
- le restaurer pour en améliorer les potentialités ou revenir à un état antérieur.
L'évolution naturelle
Dans ce cas, l'action du gestionnaire se limite à contrôler les phénomènes qui peuvent induire une déstabilisation de l'écosystème (pollutions, dérangement humain, invasion par des espèces introduites, ... ).
Un tel choix peut s'avérer judicieux en particulier dans le cas des types de milieux assez stables (prairies à salicornes, groupements végétaux des milieux rocheux, formations de haute altitude) ou au contraire dans les types de milieu qui sont naturellement adaptés à des modifications constantes (bancs de graviers, éboulis ... ).
Le parti pris du «laisser faire» s'avère cependant beaucoup moins efficace lorsqu'il s'agit de milieux anthropogènes dont l'intérêt est directement la conséquence de l'action de l'homme. Ainsi, une prairie tourbeuse se boise spontanément dès qu'elle cesse d'être pâturée. Très souvent les différents stades d'une même série de végétation sont maintenus artificiellement sur un même site. L'abandon de l'entretien conduit alors à une uniformisation des milieux qui se traduit par une réduction de la diversité.
Le maintien en l'état
Il s'agit de l'attitude conservatoire par excellence puisqu'elle consiste à figer le milieu dans la situation où il se trouve lors de la constitution de l'espace protégé. Comme la plupart des biotopes ont été façonnés par l'homme, le maintien en l'état nécessite un entretien constant qui est parfois assez difficile à réaliser. Des milieux aquatiques artificiels ont été créés à une époque où la main d'oeuvre était abondante et bon marché (étangs de pisciculture, anciens marais salants ... ). Aujourd'hui la lutte contre l'envasement naturel pose de graves problèmes aux gestionnaires car il est hors de question de recourir aux moyens traditionnels de curage et l'emploi de moyens mécaniques est parfois peu compatible avec la préservation de tels écosystèmes.
Dans de nombreux cas, la réintroduction de bétail permet de bloquer la succession naturelle de la végétation (1). Ce procédé est maintenant employé dans une quarantaine d'espaces protégés et les gestionnaires qui l'utilisent se sont regroupés dans le cadre du «Brouteur fan club» de la CPRN afin d'échanger leurs expériences et d'améliorer les techniques d'élevage à des fins conservatoires (2).
La restauration des milieux
Les gestionnaires peuvent décider de mettre en oeuvre un programme de restauration lorsqu'ils estiment que le milieu a été dégradé ou qu'il se trouve, pour une raison ou pour une autre, dans une situation qui ne correspond pas à ses potentialités écologiques réelles.
On trouve dans cette catégorie des niveaux d'actions très différents qui vont depuis la résorption de certaines nuisances (organisation de la fréquentation, lutte contre les pollutions ou l'érosion des sols etc ... ) et la réhabilitation des milieux (revégétalisation, réhumidification, lutte contre l'envahissement par les ligneux ... ) jusqu'à des opérations lourdes de «génie écologique» (creusement de plans d'eau, étrépage, construction de digues, stabilisation de berges, etc.).
De plus en plus de responsables d'espaces protégés sont tentés par des programmes d'aménagements importants qui permettent généralement d'obtenir des résultats spectaculaires et facilement médiatisables. De tels choix peuvent se justifier par la nécessité de conférer une fonction sociale aux espaces protégés (voir fiche 1.4) mais ils ne doivent en aucun cas prendre le pas sur l'objectif de conservation du patrimoine naturel. Celui-ci implique la protection des biotopes et des espèces qui constituent un enjeu majeur, même l'orsqu'ils ne suscitent pas un intérêt immédiat de la part du public.
En tout état de causes, les opérations d'aménagements qui nécessitent une modification des conditions du milieu ne peuvent être décidées qu'une fois que des inventaires très complets ont été réalisés et que le fonctionnement des écosystèmes est suffisamment bien connu.
Les milieux qui ont été créés artificiellement ont d'autre part besoin d'un entretien régulier qui nécessite généralement des moyens importants. Très souvent l'investissement initial est très vite dépassé par le budget de fonctionnement.
Les techniques de restauration écologique ont surtout été développées aux Etats-Unis où la recréation ex nihilo de milieux d'intérêt majeur est considéré comme un procédé normal d'aménagement de l'espace : plutôt que d'adapter les programmes économiques afin d'éviter de détruire les zones sensibles, on préfère reconstituer celles-ci dans des espaces moins convoités. De nombreuses zones humides totalement artificielles ont ainsi vu le jour (3). Un récent bilan a cependant montré que plus de la moitié de ces réalisations n'ont pas atteint leurs objectifs écologiques ... Ici aussi il convient de ne pas perdre de vue le fait qu'un écosystème ne peut fonctionner que si des conditions bien particulières sont remplies et que le facteur «temps» a toujours une importance prépondérante.
2.3.2 - Nécéssité de situer l'espace protégé dans son environnement régional
Ainsi qu'il a été vu à la fiche 2.2, les stratégies de conservation de la biodiversité doivent être conçues à une échelle suffisamment vaste (au niveau d'une unité géographique, d'une commune, d'un département, d'une région ... ). Les gestionnaires des espaces protégés doivent donc s'efforcer d'analyser la façon dont les domaines dont ils s'occupent s'intègrent dans l'espace environnant: un milieu donné ne peut pas être géré de la même façon selon qu'il est totalement isolé (au sein d'une vaste zone agricole par exemple), ou qu'il est entouré de milieux présentant les mêmes caractéristiques.
La réflexion sur la répartition biogéographique des espèces et des biotopes qui sont représentés à l'intérieur de l'espace protégé est donc essentielle pour la détermination des objectifs de gestion. A ce titre, il semblerait essentiel qu'il y ait un minimum de concertation et de coordination entre les différents espaces protégés d'une même région. En France, la multiplicité des organismes gestionnaires ne favorise pas ce genre d'initiatives mais on pourrait cependant envisager des regroupements qui permettraient de créer de véritables réseaux d'espaces protégés et d'avoir ainsi une action plus cohérente au niveau de chaque région. (exemple n°31)
A titre d'exemple en Angleterre, la Royal Society for the Protection of Birds, qui gère un grand nombre de réserves naturelles, et a mis en place un système d'organisation permettant de déterminer un plan d'action au niveau national et au niveau de chaque région et d'obtenir un maximum d'efficacité par rapport aux moyens financiers engagés. Un comité scientifique national établit les besoins prioritaires en matière de protection des espèces et des biotopes et les programmes d'acquisition de sites ainsi que les objectifs de gestion des réserves existantes sont déterminés en fonction de ce cadre général. Les plans de gestion des réserves sont établis par des commissions régionales, sur la base des éléments fournis par les gardes qui sont sur le terrain. Ces derniers sont ensuite chargés de la mise en oeuvre des plans de gestion.
2.3.3 - Le risque d'une fragmentation des habitats à l'intérieur des espaces protégés
La recherche d'une diversification maximale de certains espaces protégés a parfois conduit des gestionnaires à aménager des mosaïques de milieux. Or, à l'exception des parcs nationaux, les espaces protégés de France sont généralement de très petite superficie et de telles pratiques peuvent en fait se traduire par la disparition de certaines espèces qui ont besoin de disposer d'une aire minimale ou d'effectifs suffisamment importants. Ces considérations s'appliquent particulièrement aux espèces végétales à faible pouvoir de dissémination ainsi qu'aux invertébrés et aux petits vertébrés. Le meilleur moyen de maintenir une diversité maximale parmi ces groupes est de s'assurer que les biotopes qu'ils occupent soient aussi vastes que possible. Le programme d'aménagement devra donc éviter de fragmenter les biotopes les plus intéressants. Il peut même être utile de rétablir des «corridors» entre les habitats de même nature qui se sont trouvés isolés du fait de l'évolution des milieux. Il faut pour cela régénérer les formations dégradées sur des bandes qui assurent un lien entre les îlots qui subsistent. Ces bandes servent d'axe de colonisation pour les espèces animales et végétales et les différents îlots s'enrichissent mutuellement. Les écosystèmes ont ainsi un fonctionnement équilibré, ils sont plus stables et moins vulnérables (4).
4 - La diversification de la structure de la végétation
Sans tomber dans les excès d'une fragmentation des habitats, il est souvent intéressant de maintenir ou de renforcer la diversité de la structure de la végétation. Ce terme désigne l'arrangement dans l'espace des éléments constitutifs du paysage végétal. Il englobe à la fois une composante horizontale (répartition des associations) et une composante verticale (stratification). Ici aussi, il ne s'agit pas simplement d'obtenir le plus grand nombre possible d'espèces mais plutôt de favoriser la protection des groupes qui en ont le plus besoin :
- L'influence de la diversité de la végétation sur la richesse des peuplements de passereaux est l'exemple le plus connu de la relation entre structure de la végétation et la diversité faunistique. A l'intérieur des espaces protégés il n'apparaît cependant pas indispensable d'effectuer un traitement en « jardinage » de la végétation pour augmenter à tout prix le nombre d'espèces : si les passereaux des milieux ouverts (traquets, alouettes...) sont suffisamment bien représentés dans la région où est situé l'espace protégé, il n'est pas justifié de créer artificiellement une prairie à la seule fin de rallonger la liste.
- Par contre, la diversification de la structure de la végétation se justifie pleinement s'il s'agit d'assurer la protection d'une espèce ou d'un ensemble d'espèces qui constituent un enjeu réel. L'exemple n°32 montre l'influence de la diversité du paysage végétal sur la richesse du peuplement de chauves-souris. Il convient cependant de remarquer que le fait de favoriser une mosaïque de milieux n'est pas en soi suffisant pour assurer le maintien des espèces les plus menacées. La meilleure démarche consiste à analyser séparément les exigences écologiques des espèces et à s'efforcer de renforcer dans ce sens les potentialités des milieux. On constatera dans le cas des chauves-souris par exemple, que le fait de favoriser des biotopes de chasse n'est généralement pas suffisant et qu'il faut également s'intéresser à la conservation des gîtes. Ici aussi, tout passe donc par une analyse des enjeux et par une réflexion approfondie sur les objectifs de protection.
(1) Voir par exemple :
- LE NEVEU et LECOMTE (1990) : Gestion des zones humides et pastoraliennes - Atelier technique des espaces naturels, Ministère de l'Environnement, 107 p.
(2) Conférence Permanente des réserves Naturelles, BP 100, 21803 QUETIGNY
(3) Voir par exemple :
- JORDAN, GILPIN et ABER (1987) : Restoration écology. - Cambridge University Press, 343 p.
- PHIEL (1986) : Wetland restauration, a techniques workshop. - Minnesota Chapter of the Wildlife Society. Route 1, Base 76, Fergus Falls, MN56537, USA.
(4) Voir par exemple:
- FORMAN et GORDON (1986) : Landscape EcoJogy. - John WiJey ed., 619 p.
- SAUNDERS et HOBBS (1991) : Nature Concervation : the raie of corridors, Surrey Beatty ed, 442p.